dimanche 1 décembre 2013

"Horizons", de Détroit, ou le retour musical réussi de Bertrand Cantat / metronews.fr

"Horizons", de Détroit, ou le retour musical réussi de Bertrand Cantat
Créé : 18-11-2013 06:00
 
CRITIQUE – Aucun album n'a autant fait parler de lui avant sa sortie dans l'histoire du rock français. "Horizons", de Détroit, le nouveau projet de Bertrand Cantat, avec Pascal Humbert, est son premier disque post-Noir Désir. Post-Vilnius aussi. A l'arrivée, 46 minutes de rock, teintées d'influences multiples, sur lesquelles le chanteur se livre avec une retenue aussi surprenante que séduisante.
 
 

Bertrand Cantat et son partenaire Pascal Humbert dans le clip de "Droit le soleil". Photo : Barclay
 
 
 
Et si on parlait (enfin) de musique ? Bertrand Cantat sait bien que ce premier album solo n'est pas tout à fait comme les autres. Qu'il est difficile de le glisser dans son lecteur CD sans penser à tout un tas de choses... qui s'effacent (presque) aussitôt dès les premiers accords de guitare et l'entrée en scène de cette voix. LA voix du rock français depuis la fin des années 1980. Le timbre de Cantat n'a guère changé, sinon plus fragile. Le verbe est précis, les rimes soignées, chaque mot est lâché avec l'intensité qui n'appartient qu'à son auteur. De qui, de quoi parle "Ma Muse" ?
"Ça m'inspire chaque fois que je respire ton essence complice, qui goutte à goutte, s'immisce, en moi", scande le chanteur sur ce titre qui gagne en intensité électrique au fil des minutes. On essaie d'imaginer à quoi aurait ressemblé à ce vrai-faux mid-tempo avec Serge Teyssot-Gay & co. Et puis on se laisse porter. Ecrit en anglais, "Glimmer in your eyes" évoque la poésie brute de Johnny Cash, embellie d'instruments à cordes et d'arrangement électroniques discrets. "Sometimes I wonder where you are", lance Cantat au(x) fantôme(s) qui hante(nt) ses nuits.
"Cherche ton horizon, entre les cloisons"
Sur "Terre Brûlante", le chanteur et ses nouveaux partenaires tissent une road song métaphorique sur laquelle flotte un parfum de western et de musique africaine. Une parenthèse dépaysante, suivie d'un interlude orageuse qui précède le diptyque majeur de l'album. Impossible d'écouter "Ange de Désolation" sans "avoir les poils". Au cœur de cette confession brute, qui s'adresse à l'être cher, ces paroles, terribles : "Tu sais maintenant de ce côté du monde on étouffe (…) en direct notre cœur en dissection / dans leur panier à ordures il y aura cinq cent dix versions / pour engraisser les porcs (…) Dors mon ange de désolation / rien ne pourra jamais nous enlever / nos frissons".
Et puis vient "Horizon", évocation sans fard de son séjour en prison. "Combien de temps déjà, combien de temps passé / dans ce tunnel sous la cour des cent pas éternels / éternellement enfoui derrière la porte close, et la vitre sans tain, la peau de quartz vert", chante le Bordelais. Puis plus loin : "le rythme carcéral passe par la tuyauterie / un dialogue de misère / pour dire qu'on est encore en vie". A mi-parcours, un bref orage de guitares retentit. Puis se dissipe d'un coup. "Cherche ton horizon, entre les cloisons", répète Cantat, comme un mantra.
"Ah aujourd'hui je sens que souffle la révolte"
La suite du disque n'atteindra jamais le même degré d'intensité. "Droit dans le soleil", le premier "single" paraît presque lumineux, au regard de la tempête qu'on vient de traverser. Enlevé, direct, "Le Creux de ta main" évoque le Noir Désir de la période Tostaky, tandis que Sa Majesté et sa basse rondelette ouvre un sillon groovy séduisant. "Ah aujourd'hui je sens que souffle la révolte. Ooh et puis non.. Ah quoi bon ? Sa Majesté domine bien son sujet", suggère Cantat, soutenu par Samaha Sam, la chanteuse de Shaka Ponk. Une allusion désabusée à la situation politique d'un pays dont il s'est (trop) mêlé par le passé ?
A bientôt 50 ans, le chanteur se raconte avec une pointe d'ironie sur l'entraînant "Null and Void", l'autre titre en anglais. "Here I Am, god knows I'm stranded in our times/ suffocated, a champion in is prime / Call me a computer illiterate", soupire le poète rock avant de clore l'aventure en revisitant l'un de ses maîtres, Léo Ferré. "Avec le temps, va, tout s'en va", éructe-t-il, alors qu'il avait été surprenant de retenue jusqu'ici. Tout s'en va, vraiment ?
Un artiste qui a encore des choses à dire
Avec ce disque d'une beauté brute, parfois troublante, Bertrand Cantat ne fera pas oublier Noir Désir. Evidemment. Ni les drames qu'il aborde avec un courage que certains qualifieront peut-être d'aplomb insupportable. D'un strict point de vue musical, "Horizons" n'en reste pas moins le retour réussi d'un artiste qui a marqué son époque. Et qui a encore des choses vraies à explorer et à exprimer, à l'heure des reprises sans âme et des télécrochets sans lendemain. Qu'on le veuille ou non.

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